Le soleil était déjà haut dans le ciel, proche de son zénith, lorsqu'un cavalier arriva aux portes de la cité fortifiée.
Sa frèle corpulence, sa chevelure d'ébène et son teint plutôt pâle laissaient imaginer un homme plus habitué aux salons et aux bibliothèques qu'à un voyageur. Or, si son éducation l'avait effectivement longtemps amené à rester cloîtré à demeure en compagnie de son précepteur, il avait passé les deux dernière années à voyager et à parcourir l'Empire de Frédéric de Hohenstaufen, le Barberousse. Mais sa soif de découverte du monde restait inassouvie et, après un court repos dans les terres de sa famille, il reprit la route.
Parti des terres d'Outremeuse, il avait traversé les Haute- et Basse-Lotharingie, puis ses pas le menèrent dans le royaume de France jusqu'au comté de Champagne.
Troyes. Waléran sauta à terre et continua à pied la centaine de toises qu'il lui restait à parcourir avant de passer les portes de la ville.
Il savait d'expérience qu'arriver à pied éveillerait moins de soupçon et d'animosité chez les gens, et lui permettrait de s'adresser à tout un chacun d'égal à égal. Point de marque d'une quelconque supériorité lorsque l'on adresse la parole à un paysan en le regardant droit dans les yeux, plutôt qu'en baissant vers lui un regard qui en devient méprisant plus par attitude que par volonté.
Se fondre dans la population, rester discret, passer inaperçu, voilà le secret d'un homme qui avait ainsi pu voyager longtemps sans rencontrer de problème majeur : s'exprimer avec courtoisie en noble ou plaisante compagnie, user d'un parler vulgaire dans les tavernes des bas-fonds des villes, faire tout pour ressembler à "l'autre" ...
Les paysans se méfient des nobles, les nobles méprisent les paysans, les gueux craignent tout le monde, les malandrins se méfient de ceux qui emploient un langage châtié, et tous ... tous éprouvent une suspicion certaine à l'égard de "l'étranger". Autant faire en sorte de ne pas leur apparaitre en tant que tel.
Sa connaissance du saxon et du latin lui avait également permis de vite appréhender les diverses subtilités des langues qu'il avait dû pratiquer, et il n'avait aucune crainte quant à sa faculté à comprendre la lingua romana qui était pratiquée dans cette contrée.
Il traversa donc la grande porte sous le regard inquisiteur mais finalement peu intéressé des soldats qui en gardaient l'entrée. Quelle menace pourrait représenter un voyageur seul, de toute évidence peu aguerri, et dont la seule richesse semblait être un léger ballot posé sur le dos d'un cheval si mal brossé qu'il en semblait malade ?
Sa première urgence était de trouver un endroit où dormir. Et pourquoi pas un bout de terre à cultiver ? Il était jeune et, bien que de faible corpulence, tout à fait en mesure de tenir une faux. De plus, parce que son labeur lui permettait plus facilement de se fondre parmi la population, il n'éprouvait aucune honte à l'exercer.
Il erra donc dans les rues de la cité, marchant d'un pas décidé, comme s'il savait exactement où il allait. Mais tout en marchant il surveillait les façades des habitations en quête de la maison du bourgmestre, ou d'une taverne où il pourrait trouver quelque utile renseignement.